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Atelier : Ecrire et lire à Nizas

Atelier d'écriture et Club de lecture : publication de nos travaux , dialogue avec les lecteurs

LE DIALOGUE : une rencontre qui réserve des surprises !

Nous nous retrouvons pour échanger nos textes. Souvenez vous du thème :

Un homme, une femme, se rencontrent sur la place du village.

Elle : assise sur un banc, elle dessine.

Lui : Pas très séduisant, esseulé… Il revient au pays après une longue absence.

Ils ne se connaissent pas. Il vient vers elle et engage la conversation.

Voici quelques productions du groupe. Chacune a imaginé la suite de cette rencontre sur la place. A vous de juger.

LE DIALOGUE : une rencontre qui réserve des surprises !

LE MYSTERE DE LA GARE par Marie-Claire

En général, je me délecte de lectures en divers coins insolites de la campagne. Cet après-midi, un peu lasse, j'ai choisi de bouquiner sur la place du village, au bord de la fontaine, à l'ombre généreuse des platanes.

Mais je n'arrive pas à me plonger dans le texte, je suis distraite. Je viens de me rendre compte qu'un jeune homme, un homme d'une quarantaine d'années, débouchait de la rue de la Vieille Tour, se dirigeait vers la fontaine, et s'approchait de moi en souriant. Je me suis doutée qu'il allait m'interpeller.

" Bonjour, Madame, excusez mon audace de vous déranger dans votre lecture. Je suis heureux de vous rencontrer. Je viens de flâner dans les rues du village, et je n'ai croisé âme qui vive !

  • Bonjour. Vous ne m'étonnez pas. En saison d'été, le village revit le soir. Vous désirez des renseignements ?
  • Si vous êtes de Nizas, j'aimerais récolter quelques souvenirs attachés à mes jeunes années.
  • Mais je souhaite pouvoir vous répondre !
  • Eh bien, jeune garçon, pour les vacances d'été, je venais chez mes grands-parents. Ils vivaient au hameau de la gare Nizas-Fontès.
  • Comment s'appelaient-ils ?
  • Monsieur et madame Hochet. Vous les connaissiez ?
  • Oui, je m'en souviens très bien ! Votre grand-père était chef de gare, et son épouse la garde-barrière, dans les années 50, quand l'autorail Diesel a remplacé la machine à vapeur. Votre grand-mère venait faire son marché au village. Ah, il me semble la revoir ! Elle était grande et mince."

Je le sentais tout content de mes réponses, et très ému.

Il ajouta :

" Est-ce que vous pouvez m'aider à retrouver le départ du petit chemin qui grimpait sur la colline ?

  • Vous parlez du raccourci de la gare, ou de la montée des Gardes ? Je vais vous amener, je ferai une partie du chemin en votre compagnie. "

Il profita de cette promenade pour me poser d'autres questions :

" Est-ce que la ligne ferroviaire est toujours en activité ?

  • Non, l'exploitation a cessé de fonctionner dans les années 70.
  • Et les bâtiments ? Ils sont toujours existants ?
  • Vous ne serez pas déçus ! Les nouveaux propriétaires, amoureux de cette architecture, ont gardé l'ensemble des bâtisses, entretenues, et sans la moindre modification. Quand vous arriverez, n'hésitez pas à vous présenter."

Il me remercia chaleureusement. Avant que nous nous quittions, je ne pus m'empêcher de l'interroger :

" Vous le connaissez, le mystère de la gare ?

  • Le mystère de la gare ? Mais quel mystère ?
  • Vous demanderez aux nouveaux résidents ! Certains soirs, on entend encore le bruit de la machine à vapeur, et le sifflet du chef de gare…"

Il eût un grand sourire, et me serra la main. Il reprit sa marche tout heureux. Il avait rendez-vous avec le temps de son enfance.

Je l'ai laissé partir, mais dans mes pensées, j'ai fait le parcours avec lui.

D'un pas alerte, il grimpa jusqu'au sommet de la colline. cet après-midi de la fin août, le soleil était ardent, et il s'empressa de rechercher l'ombre sous un majestueux figuier

Le chemin qu'il allait emprunter serpentait entre de vieux ceps de vigne, et offraient une vue splendide sur le vignoble et la vallée du fleuve Hérault.

Au détour du petit bois de chênes, le sentier devenait plus étroit et escarpé. Il était limité par de vieux murets en pierres sèches, et dégringolait le long de la falaise jusqu'aux premières maisons du hameau.

Et c'est là que je l'ai abandonné, et que je suis revenue à la réalité.

En faisant part de cette rencontre à mes proches, j'appris que personne au village n'avait connaissance de l'existence d'un enfant dans le couple de M. et Mme Hochet. Que m'avait-il raconté?

Aucun élève de ce nom n'avait été scolarisé à l'école du village.

Il m'aurait menti ? Ou bien s'agissait-il d'un autre mystère ?

Le mien était une galéjade, mais celui-ci s'avérait plus sérieux !

Le lendemain, étant curieuse de nature, l'idée me vint de rendre visite à mon ancienne institutrice qui, tous les étés, abandonnait le village pour occuper la maisonnette de l'ancien garde-barrière de la gare Nizas-Fontès.

Bien évidemment, je lui fis part de ma rencontre, et de ma surprise lorsque ce garçon me parla de ses grands-parents.

Elle sut m'éclairer : effectivement, Mme Hochet n'avait jamais eu la joie d'être maman, mais en mars 1943, elle recueillit une petite fille âgée de dix ans, qu'elle adopta par la suite.

" Je peux vous en parler, maintenant, me dit-elle, vous allez comprendre. Elle portait le nom d'Esther Formann, elle était juive ! Ils l'ont sauvée et l'ont beaucoup aimée. Monsieur Hochet connaissant ma discrétion, m'avait demandé de lui enseigner toutes les méthodes scolaires. Durant cette période difficile de la guerre, il fallait se méfier de tout le monde, et la pauvrette ne bénéficia pas de toutes les libertés qu'elle aurait voulu avoir.

Nous avons connu quelques moments difficiles, mais fort heureusement, tout s'est bien passé. Après la fin de la guerre, à l'âge de 13 ans, elle a pu continuer ses études dans un lycée à Montpellier. Brillante élève, elle a obtenu des diplômes lui assurant une belle carrière professionnelle. Elle s'est mariée, et tous les étés, elle venait nous visiter avec son fils. Même après le décès de ses parents adoptifs, elle m'a toujours témoigné son affection.

Hier, j'ai eu la visite de son fils. Il est arrivé tout fier et heureux de m'apporter la "Médaille des Justes", l'ordre honorifique octroyé par l'état d' Israël à toute personne ayant sauvé des juifs au risque de leur vie.

Les yeux embués de larmes, nous nous sommes embrassés, et avons échangé nos souvenirs lointains, toujours présents, pas oubliés… Paroles d'émotion, de bonheur, de peines, et de beaucoup d'amour.

Voyez, mes paroles vous surprennent ! Tout le temps qu'il le fallait, nous avons gardé cette histoire cachée.

Vous lui avez parlé d'un mystère, mais nous, nous avions notre secret ! "

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LE DIALOGUE : une rencontre qui réserve des surprises !

L’importun par Joëlle

Il s’approcha timidement du banc où, assise devant un chevalet, elle dessinait la fontaine de la place. Elle leva la tête et eut un mouvement de recul. Il boitillait. Une cicatrice barrait sa joue. Son œil droit était enfoncé dans son orbite, donnant une proéminence anormale à son arcade sourcilière. Sa moustache grise mangeait ses lèvres. Elle s’obligea à reprendre son dessin.

  • Bonjour ! entendit-elle dans son dos.
  • Bonjour !

Elle continua à dessiner espérant que sa réponse laconique lui permettrait de se débarrasser de cet homme.

  • Il est beau, ce dessin ! Très beau !

Comme elle esquissait plusieurs traits furieux au fusain, il continua.

  • Donnez-vous des cours ? J’aimerais pouvoir dessiner cette place ! Regardez ces quatre platanes, on dirait des sentinelles ! Ah ! Cet endroit est si pittoresque avec ces dauphins qui bordent le bassin, n’est-ce pas ?
  • Oh oui !
  • Oui ? Alors vous êtes d’accord pour me donner des cours ? Je sentais que vous étiez généreuse, continua-t-il en ignorant son sursaut. Je viens d’arriver à Nizas, je ne reconnais plus personne ici… enfin… je dis plus personne, car… autrefois, tout le village m’aurait abordé !
  • Autrefois, dites-vous ? Mais qui êtes-vous ?
  • Je suis François Labbé, le fils de la Catherine, vous savez, la lingère du château, celle qui est morte le mois dernier !

Stupéfaite, elle l’examina consciencieusement. C’était donc vrai, tout ce qu’on disait de lui à voix basse, avec assez de compassion pour faire oublier en arrière-plan, une sorte de répulsion, qu’il était difficile de maîtriser lorsqu’on le rencontrait !

Il se méprit devant l’acuité du regard qui se posait sur lui.

  • Ben oui ! soupira-t-il, en portant une main à ses joues. Je sais, ce n’est pas beau à voir, mais vous savez… la guerre, les tranchées….

Il s’interrompit, désemparé devant ces images qui s’imposaient toujours à lui !

  • Vous n’avez jamais vu de gueule cassée ? demanda-t-il d’une voix qui tremblait.

Elle se reprit, abandonnant son dessin.

— Je vous en prie, bafouilla-t-elle, gênée, asseyez-vous ! Bien sûr, je veux bien vous aider…. Quand pouvez-vous commencer ?

Elle ne doutait pas que cette question allait l’engager désormais. Eh bien, ce geste serait la preuve qu’elle prenait, elle aussi, une part du fardeau de cette horrible guerre ! Elle s’en voulut aussitôt de s’attribuer comme un satisfecit, un héroïsme, qui n’était, en fait, qu’une ordinaire pitié pour cet homme cabossé !

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Rencontre autour de la Fontaine (le Griffe, comme on dit ici)
Rencontre autour de la Fontaine (le Griffe, comme on dit ici)

Rencontre sur la place par Gillette

C'est l'automne. Un soleil pâle éclaire la place, où un homme vient de déboucher.

Seule, en cet endroit paisible, une femme dessine, assise sur un banc.

L'inconnu s'approche d'elle. Il ne l'a encore jamais vue au village.

" Quel temps agréable, n'est-ce-pas? "

La réponse attendue ne venant pas, il poursuit :

" Si vous saviez comme ces lieux me rappellent mon enfance. Puis-je m'asseoir à côté de vous ?

- Eh bien, c'est ce que vous venez de faire…", rétorque la femme avec un demi-sourire.

Il prend l'air penaud d'un enfant que l'on a grondé. Mais l'envie de demeurer auprès de cette charmante dame est la plus forte.

Il laisse passer un temps, puis reprend :

" Quel plaisir de revoir ce cœur du village ! il m'a tant manqué, durant toutes ces années…

- Ah ? Et où étiez vous donc parti, pendant tout ce temps ?, s'intéresse-t-elle, par politesse.

- A Paris, pour travailler, comme la plupart des jeunes de mon époque.

- Que c'est drôle! Pour ma part, j'ai toujours vécu à Paris, justement !

Il s'interroge. Pourquoi choisit-on, lorsqu'on y est né, de quitter une si grande et si belle ville, pleine d'animation, pour lui préférer un endroit aussi endormi que ce petit village du Midi, prisé seulement des retraités en mal de soleil ?

Comme si elle avait deviné sa question, elle ajoute :

" J'ai choisi de venir m'installer ici pour le climat, la quiétude, les vieilles pierres…"

— Vous aimez dessiner ? Peindre? Vous venez souvent croquer cette place où le temps n'a pas d'emprise ?

- Je viens ici, au calme, profiter de l'ensoleillement, d'une merveilleuse luminosité, de la douceur de l'air… Suivant mes idées, je crayonne, je peins, ou imagine des paysages bucoliques, je réalise quelques cartes postales que j'envoie à mes amis de la capitale. "

L'homme, encouragé, se met alors à passer en revue tous les beaux endroits qu'il lui a été donné de découvrir au long de sa vie. Il les décrit avec force détails, jusqu'à ce qu'elle regarde sa montre ostensiblement.

" Décidément, quel bavard vous faites !"

Comprenant qu'il ne la laissera pas tranquille, distraite de son ouvrage, son imagination en berne, elle lui déclare brusquement :

" Il va falloir que je rentre, il commence à faire frisquet ! J'ai eu grand plaisir à vous rencontrer, alors peut-être à une autre fois…"

Et, sans prendre en compte la déception de l'inconnu, elle quitte son compagnon d'un moment et traverse la place sans même se retourner.

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un si joli petit village !
un si joli petit village !

UNE BOULEVERSANTE RENCONTRE par Marie-Claude

L'homme l'avait aperçue et était resté un moment immobile, à l'observer.

Puis il s'approcha du banc, lentement, comme intimidé.

Elle, la tête penchée sur une sorte de bloc de papier blanc posé sur ses genoux, un crayon entre les doigts, les cheveux voletant autour de son visage, animés par cette petite brise qui rend la chaleur supportable, semblait ignorer la présence de cet inconnu, qu'elle ne pouvait pourtant ne pas avoir remarqué, planté sur la place encore déserte à cette heure du début d'après-midi.

" Bonjour. C'est une belle journée, n'est-ce pas ? Vous dessinez la fontaine ? "

Elle releva la tête et examina l'intrus d'un air surpris.

" Bonjour. Oh, je crayonne, simplement. "

Elle se remit à son dessin, sans plus s'occuper de lui.

Il était tenté de s'asseoir près d'elle, mais ne put s'y résoudre. Elle ne l'y avait pas invité, elle semblait si froide, si distante…

" J'ai été absent longtemps, mais je suis natif du village. Je viens seulement d'y revenir. Et vous, vous êtes d'ici ? Je ne crois pas vous y avoir déjà vue. "

Tout à son croquis, elle laissa s'écouler plusieurs minutes avant de lever la tête pour lui répondre.

Elle aurait aimé l'examiner à la dérobée, mais il était là, presque penché sur elle, et elle avait l'impression bizarre que son regard la transperçait. Pourquoi se sentait-elle si mal à l'aise tout-à-coup ? Elle choisit de balayer cette sensation étrange, et répondit simplement :

" Je me suis installée ici dernièrement, j'ai hérité d'une petite maison. Mais j'ai passé ma vie dans les Alpes, à la frontière suisse. Je n'aurais jamais pensé m'installer dans ce village. C'est un curieux concours de circonstances…"

Elle s'arrêta. Elle n'allait pas raconter sa vie à cet inconnu. D'ailleurs, sa vie, elle ne concernait pas les gens d'ici. Elle était décidée à en dévoiler le moins possible, elle ne tenait pas à raviver des souvenirs qui ne lui appartenaient pas…

L'homme continuait à la fixer d'un air grave. Que lui voulait-il, bon sang ?

" Vous parlez d'un héritage. C'est une maison de famille? Sans vouloir être indiscret, de qui s'agit-il ? J'ai peut-être connu des membres de cette famille. Je suis très âgé, vous savez ! "

A sa voix, elle devina qu'il souriait.

Elle soupira, et se maudit silencieusement d'avoir choisi ce moment pour s'installer à l'ombre des platanes, sur cette place si calme par ailleurs. Elle avait espéré échapper à la curiosité du voisinage pendant au moins quelques temps.

Elle savait qu'elle ressemblait à sa mère, mais cela faisait si longtemps. Ne l'avait-on pas oubliée, cette si jeune fille qui était partie soudainement voilà près de quarante ans, et que l'on n'avait plus jamais revue. Quel âge pouvait-il avoir, lui ? Soixante, soixante-cinq ans ? Oui, ça collait. Il avait pu la connaître.

Elle choisit l'attaque :

" Et vous, vous me dîtes avoir quitté le village durant pas mal d'années. Pourquoi y êtes-vous revenu ?

  • C'est le berceau de mon enfance. J'en ai toujours eu la nostalgie. J'ai travaillé à Paris, puis j'ai beaucoup voyagé. Mais j'ai toujours rêvé de revenir ici à la retraite. J'ai longtemps attendu, mais j'ai fini par rejoindre mes origines.
  • Pour ma part, je n'y avais jamais mis les pieds. Mais je reconnais que ce coin de l'Hérault est très beau. J'aime ces villages en circulade, les couleurs des vignes, les montagnettes qui bleuissent l'horizon, et les fontaines de pierre qui chantent au cœur des vieilles places… C'est si différent de ce que j'ai connu, la montagne, la neige, les torrents, les lacs…

Son visage paraissait soudain plus doux, le ton de sa voix plus chaleureux. Il constata à quel point elle était jolie, avec ses yeux mordorés, son nez court, sa bouche entr'ouverte sur des dents petites et brillantes comme des grains de riz, ses mèches brunes volant dans le vent.

Les souvenirs lui fondaient dessus brutalement, et l'émotion le submergeait, ce qu'il avait du mal à camoufler devant cette jeune personne qui, visiblement, n'avait pas la moindre idée de son identité.

Il décida d'être direct :

" Avez-vous un lien de parenté avec Geneviève Daumas, une jeune fille qui a vécu ici autrefois ? Vous lui ressemblez tant !"

" Eh bien, nous y voilà ! Je me doutais que l'on me poserait cette question un jour ou l'autre. Oui, Monsieur, Geneviève était ma mère ! Et je viens d'emménager dans la maison de mes grands-parents, rue du Moulin.

Sa voix s'était mise à trembler légèrement :

  • Sur ce, je vais prendre congé. J'ai encore des cartons à défaire. Je vous souhaite une bonne fin de journée."

Elle se leva, ramassa son sac, y fourra le bloc et le crayon, et lui tourna le dos délibérément.

Il regarda s'éloigner la silhouette fine, le cœur affolé, les larmes au bord des yeux.

Lui qui avait tout fait pour oublier, il venait de replonger brusquement dans son passé, et il prenait conscience du poids de ses souvenirs, un poids qui lui avait écrasé le cœur durant quarante années de sa vie.

Il réalisa tout à coup qu'il ne lui avait même pas demandé son prénom.

(à suivre....)

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LA RENCONTRE par Catherine

Nous sommes au début de l'été et une forte chaleur écrase déjà le village de Nizas. Pas âme qui vive dans les rues. Ah ! Non pardon, voilà un petit homme , un peu chauve, un peu bedonnant, qui avance au ralenti. Il n'en peut plus ! Arrivé sur la place du Griffe, il s'arrête et la parcourt du regard en s'essuyant le front avec son mouchoir . Une quantité d'images affluent alors dans sa tête: il s'y revoit enfant, jouant aux billes ou à chat perché avec des copains, sous les yeux de vieilles personnes assises sur les bancs, les encourageant ou les grondant tour à tour ; il revoie aussi les brimades dont il était souvent victime…

Il fait un geste brusque de la main comme pour chasser des mouches ; il ne veut plus penser à tout cela. Qu'est-ce qui lui a pris de revenir dans ce village après tant d'années ? Nostalgie ou besoin de revanche pour montrer qu'il avait bien réussi ? Il y a quarante ans de cela ! Ils sont tous partis à présent les témoins de ce temps là, pour travailler ailleurs ou au cimetière…. ». Allez, je repars demain !! »

Sa tête se met à tourner et une subite envie de s'asseoir le prend : trop de chaleur et de souvenirs !!

Il cherche un banc à l'ombre. Il n'en voit qu'un, mais il est hélas déjà occupé par une dame en train de dessiner ou de peindre. Tant pis. Elle n'en occupe qu'une extrémité! Comme tout grand timide il s' arme de courage et s' avance d' un pas guerrier , pour finir en bredouillant lamentablement d' un ton presque inaudible :

- » Cela ne vous dérange pas si je m'assois ici ? »

Elle ne répond pas.

Il répète plus fort :

- »Cette place est-elle occupée ? »

La dame lève les yeux vers lui, un peu étonnée ; elle ne l'avait pas entendu.

- « Non, mais... »

Elle n' a pas le temps de finir. Le petit monsieur s'est déjà assis brutalement, vaincu par toutes ses émotions, mais pour se relever aussitôt comme piqué par une abeille ; il se retourne et regarde avec consternation la galette blanchâtre étalée sur le banc, œuvre glorieuse d'un pigeon sournois. Il réalise avec horreur que la même doit se dessiner sur le fond de son pantalon. Lorgnant vers la dame, il s'aperçoit qu'elle est restée figée, la bouche ouverte sur les derniers mots qu'elle n'a pas eu le temps de prononcer pour le mettre en garde.

Un énorme silence plane entre eux et soudain en une fraction de seconde, les voilà pris ensemble d'un fou rire inextinguible, qui monte en cascade, retombe, pour repartir de plus belle chaque fois que l' un d' entre eux veut parler . Enfin ils finissent par se calmer, un peu gênés.

Prenant une grande respiration, il se lance :

- « C'est bien moi çà . Il m' arrive toujours des tuiles. »

- » J'ai voulu vous prévenir, mais vous ne m'en avez pas laissé le temps » hoquette-t-elle

- » Non, non, c' est de ma faute. Je n'avais pas à me précipiter. »

Il sort son mouchoir et commence à s'essuyer.

- »Je peux vous prêter un chiffon pour vous nettoyer ; j'en ai toujours un de réserve, vous savez pour ma peinture. »

- »Oh ! Ce n'est pas de refus. Mon mouchoir est presque inutilisable à présent. Merci beaucoup. »

Tout en s'essuyant, le monsieur regarde le travail de la dame. Le moins que l'on puisse constater c'est qu'elle n'est pas très douée .

Ne voulant pas être blessant il choisit un autre sujet de conversation.

- » Comme je vous le disais, je crois que je suis né sous une mauvaise étoile. S'il y a une bêtise à faire, un problème à essuyer ou un cataclysme à déclencher, c'est pour moi. Une tache d'huile par terre et j'y glisse. Une dalle sur le trottoir qui dépasse et je la rencontre. Une marche qui manque et je ne le voie pas. Un chien en colère dans la foule et il ne verra que moi. Vous voyez je suis marquée par le destin. »

Il a parlé d'une traite comme tous les grands timides qui se lancent et que l'on n'arrête plus.

Elle le regarde avec de grands yeux clairs, presque délavés, peut-être à force de pleurer. Son petit visage ovale, à peine ridé, très attentif à ce qu'il dit, dégage de la bonté mais surtout une grande compassion envers lui. Il se sent en confiance et reprend :

« Vous habitez ce village depuis longtemps ? »

- « Non, quelques mois seulement. »

- « Et vous vous y plaisez ? »

Elle hésite

- « Oui.. et vous ? »

Il soupire :

- « J'y fais un pèlerinage après des années d'absence, mais finalement je le regrette : tout y est plus petit que dans mon souvenir et je ne connais plus personne. »

Il reste un moment songeur puis se tournant vers elle en souriant :

- « Trouvez-vous les gens d'ici sympathiques ? »

- « Vous savez je ne connais pas grand monde en fait » murmure-t-elle et comme pour éviter trop de questions personnelles elle regarde sa montre, fait mine de s'affoler et rangeant précipitamment ses affaires, elle ajoute :

- « Pardonnez-moi, je dois partir. On m'attend… »

Elle se lève, hésite, puis sortant un gilet de son sac, elle le lui tend :

- « C'est pour cacher une vilaine tache de peinture « dit- elle en souriant.

Profondément ému par ce geste il balbutie :

- « Comment vous le rendrai-je ? »

- « Je suis ici tous les après-midi. Ou bien vous pouvez le déposer au café là en face. Ils me connaissent. Au revoir monsieur et …faites attention à vous ! »

Il reste un long moment à regarder la petite silhouette fine et droite s'éloigner.

- « Dieu qu'elle est jolie ».

Il ressent soudain une immense sensation de vide et décide brusquement de prolonger son séjour pour revenir à cette même place le lendemain.

Et il revint le lendemain, et le jour d'après et ainsi tout l'été.

Ils s'apprivoisèrent et perdirent peu à peu leur timidité et tout sentiment de gêne l'un envers l'autre :

Il la fit rire en lui narrant ses déboires qu'il accumulait avec une grande persévérance, « par étourderie » disait-il , « plutôt par naïveté, ou trop grande confiance envers les gens », rectifiait-elle .

Puis il lui raconta sa vie tristounette de petit orphelin, sa réussite grâce à son farouche acharnement au travail et une grosse envie de revanche, et enfin sa timidité qui l'avait toujours handicapé et sûrement empêché de fonder une famille.

De son côté elle se lâcha petit à petit et lui raconta son mariage raté. Elle lui parla surtout de son fils unique qu'elle adorait et qu'elle avait élevé pratiquement seule. Puis son mari était mort, son fils s'était marié, avait eu deux enfants et là….

Elle possédait une maison et eux, un minuscule appartement.

Alors, elle les avait invités à vivre chez elle. C'était mieux pour les petits. Mais peu à peu elle avait compris qu'elle était un peu de trop. Et un jour, discrètement, elle s'était éclipsée et avait emménagé ici dans un petit studio.

Oh ! Il lui suffisait largement. D' ailleurs, en faisant ainsi moins de dépenses, elle pouvait même les aider et gâter ses petits-enfants .Le gros problème c'est qu'elle ne les voyait presque plus : les parents avaient trop de travail, et les petits, vous pensez avec leurs activités et leurs copains !!!

Peu à peu, Monsieur et Madame avaient fait place à Jean et Adeline.

C'est la fin de l'été et hélas Jean doit repartir pour l'étranger : son entreprise l'attend et il ne peut indéfiniment déléguer ses pouvoirs. Il n'a encore rien osé lui dire. Depuis quelques minutes leur conversation s'étiole et finit par s'arrêter. Jean est désespéré.

Prenant son courage à deux mains il se jette à l'eau :

- « Adeline, j'ai quelque chose à vous dire depuis un moment déjà »

- « Je sais, je sais, Jean, mes dessins ne sont pas très bons. Je voyais bien que vous vouliez le dire mais que vous n'osiez pas « interrompt-elle en riant, insouciante et heureuse du moment présent .

- » Pour dire la vérité ils sont franchement mauvais. Non ce n'est pas cela ; voilà je repars définitivement demain et j'aurais aimé Adeline que vous veniez avec moi. Nous ferions un petit bout de chemin ensemble, et pourrions continuer nos conversations,mais vous seriez libre de revenir ici quand vous le désireriez . »

Il a jeté ces mots d'une seule traite pour qu'elle ne puisse pas l'arrêter et il attend à présent effrayé par son audace.

Elle le regarde, interloquée, choquée même, puis elle bégaye :

- « Je….je ….ne peux pas. Mes enfants, ma vie est ici ..., les gens vont jaser, et puis nous nous connaissons à peine… »

Jean se lève et doucement comme épuisé par l'effort qu'il vient de fournir, il murmure :

- « Réfléchissez. Je serai là demain à dix heures. Si vous n'y êtes pas je comprendrais et je ne reviendrais plus vous importuner. Mais quoique vous décidiez, sachez que j'ai passé un merveilleux été et que j'ai été heureux de vous avoir connue. »

Il part en courant.

Et le lendemain tout se déroule normalement : il se coupe la main en fermant sa valise et doit courir à la pharmacie pour se faire soigner .Au moment de partir il a la joie de crever un pneu et la pluie se met à tomber le temps qu'il change sa roue. Dégoulinant, il doit prendre d'autres vêtements, déjà pliés dans sa valise, dont il met un certain temps à retrouver la clé. Bref, il arrive essoufflé, en nage , avec trois heures de retard à son rendez-vous . La pluie a cessé mais tout est mouillé et bien sûr Adeline n'est pas là : elle est repartie, lasse d'attendre ou plus vraisemblablement elle n'est jamais venue.

- » Quel idiot, pourquoi y ai-je cru ou seulement espéré? Comment ai-je pu oser lui faire cette proposition, elle si jolie, moi si insignifiant ; elle a une famille et moi, rien. J'ai été trop brusque ; une demande pareille, cela se prépare. Elle a dû penser que je me moquais d'elle. Quel gâchis ! »

Jean s'assoie accablé et se relève d'un bond : le banc est trempé et à présent son pantalon aussi.

Il a presque envie d'en rire : à ce stade ce n'est plus de la malchance c' est le miroir de sa vie : un véritable fiasco.

Et soudain :

- »Voulez-vous une serviette pour vous sécher, Jean ? J'en ai mis plusieurs dans ma valise. »

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LE VOYAGE DANS LE TEMPS par Christiane

De retour dans son village, après toutes ces années, il éprouvait un plaisir immense à le redécouvrir, prenant le temps de flâner à travers ses ruelles par cette journée douce et ensoleillée de fin Septembre. En franchissant la veille, au volant de sa voiture, le panneau annonçant l'entrée du village, il avait, bien sûr, remarqué quelques constructions neuves mais dans le centre, la Mairie, l'église, le château étaient tels qu'il les avait gardés en mémoire, comme figés dans le passé. Ces mêmes pavés au sol, bordés d'un côté d'une large rigole, ces petits balcons en fer forgé, au premier étage des maisons vigneronnes, ces grands portails en bois, difficiles d'accès, tellement les ruelles étaient étroites et qui servaient de remise aux voitures, tout était à sa place, peu de choses avaient changé : ici, une couleur de peinture fraiche aux volets ou un nouveau ton de crépis sur quelques façades, de grands pots de plantes, placés là où autrefois il n'y avait rien, étaient la marque de quelques changements de propriétaires.

Il arrivait maintenant par la rue de la Vieille Tour, sur la place du Griffe où enfant, il passait beaucoup de temps avec ses camarades de classe. Chaque soir, dès la sortie de l'école, les garnements s'élançaient vers cette petite place et à peine étaient-ils arrivés que, déjà, ils jetaient par terre, sans grands égards, livres et cartables qui les encombraient pour jouer à toutes sortes de jeux, c'est là aussi qu'ils s'octroyaient des pauses gourmandes, chacun découvrant son goûter du jour, heureux d'en partager un petit bout avec les autres, puis venait l'échange de cartes qu'ils avaient en double pour parvenir à constituer des séries de familles, des blagues suivies de fous rires fusaient et toute cette grande récréation prenait fin à leur plus grand regret, quand, après s'être aspergés d'eau, puisée avec leurs mains dans la fontaine, ils se retrouvaient mouillés, trempés parfois de la tête aux pieds et contraints de rentrer. Ce qui les attendait à la maison n'était alors ni plus ni moins qu'une sévère réprimande, mais comme elle était le sort partagé de toute cette bande de copains, ils se consolaient bien vite.

Souvenirs surgis soudain de très loin....

A cet instant, l'horloge de la tour marquait 14h40, la place était paisible, comme endormie, les enfants l'avaient désertée pour les bancs ou la cour de l'école et une impression de sérénité se dégageait de cet endroit. Ce calme lui donna envie de s'y arrêter un moment, de prendre le temps de s'asseoir pour faire naître peut-être d'autres souvenirs encore, après tout, c'était ce qu'il était venu chercher. Déjà, pour venir jusque là, il lui avait semblé redonner vie à des noms de rues qui, jusqu'à cette heure, étaient tombés dans l'oubli, il les avait même prononcés parfois à haute voix et c'était, à chaque fois, un lointain fragment de son enfance qui surgissait. Il éprouvait le besoin de se replonger dans ces lieux qui l'avaient vu grandir, revoir la maison de ses parents, celle de voisins, de camarades de classe qui toutes, avaient une histoire propre, faite de bonheurs mais aussi de drames familiaux et peut-être même déciderait-il d'emprunter le chemin qui le conduisait jadis à son école. Sur cette place qu'il atteignait lentement, il se souvenait maintenant avoir connu cette fillette de son âge qui occupa longtemps ses pensées, souvent bien malgré lui, elle n'en sut jamais rien .... premiers émois, premiers secrets. Toutes ces images et pensées fugaces, diffuses, chargées d'émotions diverses refaisaient maintenant surface. Il ne s'était pas trompé, il savait qu'ici il retrouverait le monde de son enfance.

En s'avançant, il aperçut, au centre, la fontaine, entourée de platanes dont les feuilles jaunissantes, certaines même rouges, jouaient avec le soleil et le souffle d'un vent léger pour créer des ombres mobiles sur les bancs, installés à proximité. Une femme était assise sur l'un d'entre eux, le dos au soleil, elle avait installé devant elle un chevalet et disposé son matériel de peinture. Elle fixait la fontaine puis son regard revenait se poser sur sa toile, en de rapides mouvements de tête, elle était absorbée dans son travail, rien ne semblait pouvoir la distraire. Il se dirigea, non sans quelque hésitation, vers ce banc qu'elle occupait.

— Bonjour! Excusez-moi, je ne tiens pas à vous déranger dans votre tâche mais peut-être puis-je m'asseoir ici? demanda-t-il. Les autres bancs sont un peu trop à l'ombre.

Elle avait les yeux rivés sur son tableau et avait à peine pris conscience de sa présence.

— Ah bonjour ! répondit-elle, un peu surprise de cette présence. Elle ne l'avait pas entendu s'approcher. Si vous y tenez ! Veuillez m'excuser, mais quand je peins, je suis concentrée sur ce que je fais et n'apprécie pas trop d'être interrompue, alors ne vous étonnez pas que je reste silencieuse.

— Rassurez-vous, je souhaitais simplement prendre le temps d'observer tranquillement cette petite place que je trouve si agréable et qui me rappelle beaucoup de souvenirs.

Ils étaient l'un et l'autre assis sur le même banc. Elle avait dû ramasser un peu son matériel, ses pinceaux , ses chiffons, son eau pour lui faire un peu de place. Le silence s'installait. Lui, en profitait pour contempler, devant lui, les détails du bassin de pierre froide au centre duquel se trouvait le socle de la statue, une diane chasseresse. A ses pieds, quatre dauphins. La margelle était abîmée par endroits. Son regard erra ensuite plus loin, du côté de la Tour de l'horloge, cet ancien bâtiment qui avait servi autrefois de logement au receveur des Postes, puis vint finalement se poser, presque malgré lui, sur le travail de cette femme: des traits de couleur sombre, nuances de brun et de noir, épais, appliqués d'un geste sec laissaient à peine deviner les formes de la fontaine, le ciel, chargé, n'était qu'un aplat gris, les platanes, des troncs noirs et tortueux aux branches crochues et dénudées. Il se mit à observer le visage de cette femme, tout à côté de lui: encore jeune, la quarantaine peut-être, silhouette menue aux longs doigts fins, blonde, les cheveux, dont quelques uns s'échappaient au niveau des oreilles, retenus à l'arrière par un lien, les traits fins, la bouche, bien dessinée, légèrement rosée. Comment une femme d'apparence aussi douce pouvait-elle peindre de façon aussi tourmentée? Pourquoi cette rage qui cherchait à s'exprimer au travers de ces griffes sur cette toile? C'était pour lui un mystère qui lui donnait matière à réflexion dans un silence qu'elle lui avait imposé presque d'emblée et qu'il avait à coeur, bien sûr, de respecter.

Elle tourna soudain la tête du côté de la route où l'aboiement d'un chien attira son attention, pour quelques secondes, elle eut un bref regard pour le maître qui le promenait à cette heure. Ce fut l'occasion, malgré elle, d'observer de biais, l'homme assis à ses côtés, tourné vers la même scène: crâne plutôt dégarni, quelques touffes éparses de cheveux grisonnants sur les côtés, homme d'un certain âge donc, mal rasé, un physique un peu ingrat qui ne l'incitait aucunement à priori à faire plus ample connaissance mais lui, n'avait pas hésité à lui adresser spontanément la parole, somme toute de façon aimable, ainsi se sentait-elle presque obligée de ne pas en rester là, malgré sa ferme intention de ne pas se laisser distraire de sa tâche. Le silence, installé entre deux êtres, étrangers l'un à l'autre, pouvait être, finalement, encore plus pesant que quelques phrases banales échangées. Elle se tourna donc vers lui et lui demanda:

— Vous êtes de ce village ?

Il fut tout étonné qu'elle prenne l'initiative de lui parler. Sa question contrevenait au principe de départ qui devait le cantonner au silence, afin de ne pas la gêner. Sa simple présence l'empêchait-elle de travailler en toute quiétude, se sentait-elle obligée de mettre un terme à cette pesanteur, installée entre deux êtres qui ne se parlent pas ?

— Je n'y habite plus depuis longtemps, mais je suis né et j'ai vécu toute mon enfance ici..... j'y ai beaucoup de souvenirs heureux, osa-t-il ajouter, en la regardant, tentant de comprendre pourquoi elle entamait un semblant de discussion, risquant de la perturber dans sa concentration.

— Vous êtes donc seulement de passage ? poursuivit-elle, tout en continuant de fixer son attention sur le détail qu'elle était en train de peindre.

— Oui, je reste quelques jours dans la région, mais cette fois, je ne serais reparti pour rien au monde, sans revenir ici.

Peut-être l'ennuyait-il avec ses explications, elle attendait certainement des réponses brèves. Il se serait volontiers livré encore davantage, étant d'un naturel ouvert, mais craignait un peu sa réaction. Elle faisait peut-être simplement l'effort d'être courtoise en lui posant ces quelques questions et n'en avait certainement que faire de ses réponses.

— Le besoin de remonter le temps ? Sa question devenait plus personnelle et méritait cette fois quelques développements.

— Oui, arrivé à un âge où on a une grande partie de sa vie derrière soi, j'ai eu envie de revenir sur les lieux où j'ai grandi et qui m'ont façonné. Toute sa vie, on s'est fabriqué des images à partir de souvenirs plus ou moins précis et tôt ou tard, on cherche à savoir si elles correspondent encore à la réalité ou si on s'est trompé tout ce temps.

Il en avait dit peut-être un peu trop, ce ne devait pas être à son goût. Il saurait faire plus bref à la prochaine question posée. D'ailleurs, elle semblait maintenant à nouveau plongée dans ses pensées. Lui, toujours respectueux de sa volonté initiale, n'était pas prêt à relancer la discussion. Il se taisait.

— Ce retour sur le passé ne peut être que décevant, non ? reprit-elle sur un ton triste.

— Pourquoi cela ? Je ne le pense pas. Les pavés, les pierres, les rues, les maisons continuent de nous parler. Ils sont les témoins de notre vécu. A la différence des personnes qui ne font que passer, l'esprit des lieux perdure. Certaines choses changent bien sûr, la maison de mes parents, au centre du bourg, n'est plus tout à fait telle que je l'ai connue, c'est vrai, mais elle reste pour moi la maison dans laquelle, ma famille et moi, avons vécu. D'ailleurs, ces images que nous nous sommes façonnées sont peut-être la véritable mémoire des lieux. J'ai vécu ici une enfance heureuse et être là, aujourd'hui, c'est comme redevenir pour un court moment ce qu'on était, un enfant.

Il s'en voulait presque de s'être ainsi mis à nu devant cette femme qu'il ne connaissait pas. Elle s'était montrée habile car en usant de peu de mots, elle avait réussi à le faire parler plus qu'il ne le souhaitait. Il était, cette fois, bien décidé à en rester là, mais ce fut elle qui enchaîna :

— Certaines personnes ont un penchant naturel à se retourner sur leur passé, ils en restent souvent prisonniers. L'oubli est pour moi la meilleure façon d'exister dans le présent. Laisser le vécu en l'état, cette réalité intacte qui se suffit à elle-même, sans recours possible à la béquille des souvenirs qui le parasitent.

La conversation prenait un tour philosophique qui n'était pas pour lui déplaire. Il allait donc peut-être continuer à en apprendre un peu plus sur cette personne qui, tout à l'heure encore, n'était qu'une étrangère. Curieuse rencontre .... inattendue. Il se sentait à présent encouragé à poursuivre le dialogue et faire valoir son point de vue.

— Je ne conçois pas qu'on puisse faire table rase de tout ce qu'on a connu et vécu. L'être humain se construit à partir d'expériences qui ne commencent pas à l'âge mûr mais dès la petite enfance, des moments clé qui ne seront pas vécus comme tels sur le moment peuvent jouer plus tard une importance capitale, insoupçonnée alors. Peut-être ce refus de se souvenir est-il lié chez certains à des évènements malheureux ? Ces accidents de la vie sont des obstacles, placés en travers de notre route, ils créent un bouleversement de tout notre être, changent notre caractère, notre vision du monde, notre rapport aux autres, mais sont une épreuve qu'ils nous faut toujours surmonter.

Il voyait dans son attitude imperturbable, qu'elle restait campée sur ses positions, la tête penchée sur ses couleurs qu'elle mélangeait avec énergie à du noir, toujours le noir. Cette réaction, trahissait-elle un trait de son caractère ou une volonté farouche était-elle ici mise en oeuvre pour ne pas s'autoriser à regarder derrière soi ? Il aurait aimé en savoir davantage, là, tout de suite. Pourquoi ne disait-elle rien ? Elle semblait murée dans son silence, enfermée dans un monde aux formes obscures et sinistres. Ses gestes se firent peu à peu moins saccadés, elle réfléchissait, sans aucun doute, à la suite à donner à cette conversation qui n'avait plus rien d'anodin car en si peu de temps, ne s'étant jamais rencontrés auparavant, ils avaient commencé, en réponse à une banale question de départ, à livrer à l'autre une partie intime de soi, courant le risque de rester incompris.

Il ne pouvait en rester là et comme elle tardait, de son côté, à poursuivre le dialogue, il osa lui demander :

— Existe-t-il peut-être des épreuves insurmontables ?

Cette question, qui la poussait dans ses retranchements, la plaçait dans une position inconfortable et il s'en voulait de chercher à comprendre ce que cette inconnue semblait cacher au travers de ses propos comme de sa peinture.

Ses traits se raidirent soudain, elle serrait les mâchoires et sembla faire un effort pour parvenir à poursuivre son travail. Il perçut dans ses gestes, de nouveau plus secs, comme de l'agacement et entendit le bruit de sa respiration saccadée. La douleur se lisait sur son visage crispé, elle dut faire effort sur elle-même pour parvenir à prononcer ces mots :

— Oui, il est des épreuves qui vous ébranlent à un point tel qu'elles peuvent faire basculer une vie si l'on persiste, comme avant, à songer encore à ce qui était et qui ne sera jamais plus.

Je m'efforce d'être la gardienne chargée de la fermeture à double tour de cette effroyable porte d'accès à l'enfer qu'est pour moi celle des souvenirs car derrière la porte, il y a l'inacceptable, l'insupportable, les rires d'un enfant innocent à qui la vie va bientôt être arrachée. Je l'ai perdu lorsqu'il m'a lâché la main et a été renversé par une voiture, il n'avait que trois ans. J'aimerais pouvoir dire, c'était il y a très longtemps mais c'est toujours hier et je sais qu'il en sera toujours ainsi. Seule ma peinture m'aide à oublier hier.

Le ton, sur lequel cette dernière phrase avait été prononcée, n'incitait pas à la poursuite du dialogue. Convenait-il d'ailleurs de le prolonger après cette terrible révélation ? Bouleversé, il ne savait que dire et préférait garder le silence. Il était mal à l'aise, s'en voulait d'avoir évoqué son enfance heureuse, sans retenue, devant une inconnue, ne soupçonnant pas la souffrance qu'endurait cette femme. Il se reprochait sa maladresse et la situation dans laquelle il s'était fourvoyé, l'attristait profondément.

Il fut tiré de ses pensées par l'horloge de la tour qui se mit à sonner. Il leva les yeux vers le cadran: il indiquait 16h30. Voilà déjà un certain temps qu'il était assis là. Il se tourna vers elle et constata qu' elle avait soudain repris tous ses sens et se pressait maintenant de ramasser tout son matériel qu'elle jetait pêle-mêle dans un sac, afin de quitter les lieux au plus vite. Pourquoi cette hâte? Son silence la contraignait-il à prendre congé et quitter la place? Décidément, il aggravait son cas. Elle était donc sur le point de partir sans qu'il ait trouvé pour elle la moindre parole apaisante.

Il comprit son empressement subit quand, soudain, non loin de cette petite place où ils se trouvaient au calme, des cris, des hurlements, des sifflets, des bruits de ballons bondissant sur la chaussée emplirent brusquement de vie la quiétude des ruelles: c'était la sortie de l'école, une épreuve qu'elle ne pouvait s'infliger. En petits groupes, certains bavardant tranquillement, d'autres, de temps en temps, élevant la voix pour se faire entendre, ou se chamaillant en se tirant par le manteau, les enfants regagnaient leur domicile. Quelques uns, plus rêveurs, s'approchèrent du petit bassin, trempèrent leurs mains puis continuèrent leur chemin. En les observant, il remarqua que beaucoup tenaient une photo en noir et blanc, à la main: la photo de classe.

Le souvenir de ces années était maintenant complet, les enfants faisaient partie du tableau. Il pouvait repartir. Il se rendit compte alors que son attention avait été toute entière accaparée, pour quelques minutes, par le spectacle de ces enfants, sortant de l'école et quand il voulut se tourner vers la femme, pour prendre poliment congé d'elle, il s'aperçut qu'elle s'était déjà éloignée. Elle avait laissé le tableau sur le banc.

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Lors de la prochaine séance, nous aborderons de nouveau le dialogue, avec un exercice un peu plus périlleux : écrire la suite d'un texte imposé....

Mais nous avons quatre semaines pour nous y préparer;

Alors, à bientôt !

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